Session 3 - Faut-il avoir peur des liens communautaires ? Le pouvoir économique des communautés comme vecteur d’intégration.

 

Intervenants :   
 Discutant: 
    Marie-Claude BLANC-CHALEARD (Université Paris Ouest
   Philippe GENESTIER (ENTPE, France)
        Nanterre-La Défense, France)
  
   Robert KLOOSTERMAN (University of Amsterdam, Netherlands)
Présidente
   Alain TARRIUS (Université de Toulouse, France)
  Annick GERMAIN (INRS, Canada) 

Face à un discours politique et à une action publique qui fait de l’immigration un problème, il paraît nécessaire de rappeler que l’immigration est porteuse de ressources économiques et que ces dernières dépendent pour une part de l’activation de liens communautaires. Les immigrés sont en effet des personnes en situation hybride qui peuvent mettre en relation des réseaux de leur pays ou région d’origine et de leur pays d’accueil. Cette capacité est d’une grande valeur pour le développement d’échanges commerciaux ou la mise en place de filières économiques. Or les ressources ainsi dégagées sont souvent ignorées, voire combattues par les pouvoirs publics, au motif qu’elles mobilisent des réseaux communautaires et au motif qu’elles circulent dans des réseaux informels. Cette session a permis de dresser un bilan des connaissances apportées par la recherche sur ces questions.
 

Marie-Claude Blanc-Chaléard, historienne et professeure à l’université Paris Ouest La Défense, montre le rôle des liens communautaires dans l’entrepreneuriat immigré. Insistant notamment sur l’exemple des Italiens, elle souligne le rôle social des communautés nationales. Inscrites dans des territoires bien spécifiques, elles procurent un réconfort qui compense le déracinement. Elles orientent également les immigrés dans des filières professionnelles particulières. Les communautés nationales s’identifient alors à des activités précises (les juifs du Marais et la fabrication de casquettes par exemple). Marie-Claude Blanc-Chaleard conclut en soulignant que si aujourd’hui, l’économie « immigrée » est devenue en large part une économie « ethnique », cela n’a pas toujours été le cas.

Robert Kloosterman, professeur de géographie économique à l’université d’Amsterdam présente ensuite les ressources potentielles des liens communautaires pour l’activité économique : ces liens procurent de la confiance, abaissent les coûts de transaction, donnent accès à des circuits de financement, ouvrent à une clientèle particulière. Robert Kloosterman tempère toutefois son propos en soulignant que la communauté peut aussi faire obstacle à l’intégration. Ses membres peuvent se trouver enfermés dans un réseau social trop étroit ou dans une clientèle trop limitée pour développer leur affaire. Bref, si la communauté peut être un marchepied, elle peut aussi être une impasse. Ces difficultés peuvent être surmontées non pas en réduisant le poids des liens communautaires mais en multipliant les liens sociaux et les appartenances.

Alain Tarrius, professeur de sociologie à l’université de Toulouse 2, n’ayant malheureusement pas pu être présent, son propos est présenté par Philippe Genestier, chercheur au laboratoire RIVES de l’ENTPE. Il montre comment les communautés de migrants constituent des réseaux mondialisés. Au sein de ces réseaux, d’importantes masses de biens et de capitaux circulent. Les pauvres ont un faible pouvoir d’achat, mais ils sont nombreux. Fort de l’analyse de ces territoires circulants, Alain Tarrius propose de substituer le concept de transmigration à celui de migration. Il propose de même d’insister sur le nomadisme plutôt que sur la sédentarité, sur le cosmopolite plutôt que sur l’ethnique, sur le réseau plutôt que sur la banlieue.

Dans le commentaire qu’il propose de ces trois interventions, Philippe Genestier souligne que toutes mettent en avant le rôle des communautés dans la fluidification des rapports sociaux et dans la sécurisation du quotidien dans un contexte d’incertitude. Il souligne également que la communauté est un vecteur d’intermédiation entre l’échelle micro des initiatives individuelles et l’échelle macro du contexte économique, politique et social. Pour autant, la communauté ne simplifie pas toujours les choses. Philippe Genestier l’illustre en discutant la question du « sur-travail » des entrepreneurs immigrés et de leurs familles, y compris leurs enfants.

S’ensuit une discussion animée par Annick Germain sociologue à l’INRS de Montréal. Sont abordés différents thèmes, dont : les difficultés des politiques interculturelles d’intégration des immigrés menées au Québec ; les circuits de financement des activités économiques des immigrés ; et la faible présence des questions économiques dans le débat public français sur l’insertion des immigrés. Il est conclu que l’insertion économique tend à précéder l’intégration politique, et que les liens communautaires peuvent aider à cette insertion, contrairement à ce que l’on considère généralement en France.

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