Session 1 - Les communautés contre la République ?

 

Intervenants :     Discutante
    Didier LAPEYRONNIE (Université Paris-Sorbonne, France)       Julie-Anne BOUDREAU (INRS, Canada)
    Frédéric LESEMANN (INRS, Canada)       Président :
    Mike RACO (Bartlett School of Planning, Royaume-Uni)     Annick GERMAIN (INRS, Canada)

 

Dans la pensée républicaine française, seul l’Etat-nation est légitime et les appartenances infranationales sont suspectées de propager une logique “communautariste”. Les liens communautaires ont été tolérés avec pragmatisme par la puissance publique tant qu’ils restaient peu visibles dans l’espace public et tant que le processus intégratif semblait fonctionner à plein. Mais, depuis plusieurs décennies, aux ratés de l’intégration s’ajoutent des revendications particularistes de plus en plus fortes. L’action publique se trouve ainsi de plus en plus tiraillée entre des principes différents. D’où cette question : à l’heure où le processus d’intégration semble  en panne, quelle identité peut fonder les liens sociaux ?

 

Dans son intervention, Didier Lapeyronnie, professeur de sociologie à l’université Paris-Sorbonne, rappelle que l’opposition entre communauté et société est au fondement de la pensée sociologique. La « communauté » désigne en effet l’ordre de l’Ancien Régime, mais aussi celui des minorités, des allégeances primaires et de l’affectif, alors que la « société » recouvre l’ordre de la modernité, de la rationalité et de l’émancipation individuelle, avec les craintes concernant l’anomie qui pourrait en découler. Aujourd'hui, le modèle sociétal et le processus d’intégration-assimilation quasi colonial qui lui était associé ne répondent pas aux besoins de reconnaissance et d’égalité concrète des minorités, d’autant plus qu’après 40 ans de politique néolibérale, ce qui pouvait rester de solidarités traditionnelles a été détruit. En outre, les points de confrontation à l’intérieur du corps social trouvent difficilement les mots pour se penser et se dire, tant le lexique politique et social est structuré par l’ordre institutionnel dominant qui renvoie tout ce qui n’est pas lui aux mots de l’ordre familial et émotionnel dépolitisé et dévalorisant.

La question est alors la suivante : comment refabriquer du collectif pour rendre les individus acteurs ? C'est une question qui se pose aujourd'hui en tous domaines, concernant les rapports femmes/hommes, migrants/natifs, enfants/adultes, ouvriers/patrons, exclus/inclus… Cette question n’est pas celle de la République contre la Communauté, puisqu'il n'y en a plus, mais celle de l'action politique à la base et des luttes faisant émerger des communautés civiles.  

 

Mike Raco, professeur à la Bartlett School of Planning à Londres, reprend son ouvrage sur les privatisations, What is happening in England ? The New localism, pour évoquer les grandes réformes en cours en Grande-Bretagne qui associent un retrait de la planification centralisée et de l’Etat à une montée du développement communautaire d’initiative locale. Celui-ci, répondant à une perte de légitimité de l’Etat, de la bureaucratie et de la planification centralisée, est présenté comme une autogestion et auto-organisation des services publics de proximité mais c’est en fait d’une privatisation de ces services qu’il s’agit. Et cela, tant dans leur dimensionnement à la base, avec des experts du privé qui élaborent les plans locaux et les contrats de services pour le compte des communautés locales, que dans la prestation de ces services réalisée par des firmes s’emparant ainsi des marchés du transport collectif, de l’éducation, de la santé. Le localisme fait partie de cette restructuration de l'État que certains considèrent comme un programme d'abandon, où le localisme est utilisé pour justifier le retrait de l'État. S’il y a des aspects positifs dans cette définition à l’échelle locale des services aux populations, il en y a aussi de négatifs, avec notamment une baisse globale des ressources publiques, un climat hostile au débat politique et une sous-estimation des impacts de cette privatisation, dont une forte érosion de la sphère publique. Certains disent que les britanniques sont des précurseurs dans cette mise en œuvre de la modernisation de l’action publique.

 

 

Frédéric Lesemann, professeur à l’INRS de Montréal, analyse enfin que si en France, on éprouve des difficultés à parler des communautés, c'est en raison de la tradition républicaine. En Angleterre, la grassroots démocratie  se construit d'en bas vers le haut, si bien que le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins. C'est l'idéologie dominante du gouvernement fédéral canadien. Les Québécois sont à la jonction de ces deux traditions. La notion de travail communautaire s'enracine dans cette valorisation du bas. La lutte contre la pauvreté consiste à incorporer les communautés les plus défavorisées dans les politiques libérales, en trouvant des éléments de solution concrète au niveau local et en incitant les communautés à s'organiser elles-mêmes puisque l'État affirme qu'il ne peut pas tout faire. Ce processus d'exercice des compétences au niveau local est une voie de privatisation dont les populations riches s’emparent également pour s'organiser et s'enfermer à l'intérieur de zones protégées avec leur propre sécurité, revendiquant alors de payer moins d'impôt.

 

 

Discussion

 

 

Français