Session 2 - Les quartiers populaires comme bases de mobilisation citoyenne ?
Intervenants : | Discutante : |
Denis MERKLEN (Université Paris 3, France) | Catherine NEVEU (EHESS, France) |
Ahmed BOUBEKER (Université de Saint-Etienne, France) | Président : |
Deena WHITE (Université de Montréal, Canada) | Didier CHABANET (Sciences Po / IFSTTAR, France) |
Comme l’illustrent les banlieues rouges, le quartier ou la communauté locale a pu être la base d’une prise de parole politique à une échelle large, métropolitaine ou nationale. Dans quelle mesure les quartiers populaires d’aujourd’hui peuvent-ils être des bases de politisation et mobilisation citoyenne? Quels sont les liens locaux qui peuvent être activés ? En considérant certains quartiers populaires comme des ghettos qu’il conviendrait d’éradiquer, ne fait-on pas obstacle à la mobilisation des habitants ? Que peuvent nous apprendre les expériences étrangères dans ce domaine ? Cette session souligne la diversité des formes de lutte et de mobilisation dans les quartiers populaires en France, tout en insistant à partir de l’exemple du Québec sur l’importance de réseaux permettant de fédérer ces démarches militantes à la base pour faire entendre leur voix à d’autres échelles.
Denis MERKLEN, professeur de sociologie à l’université Paris 3, souligne que, contrairement à l’idée de quartiers populaires en proie à l’anomie et de plus en plus éloignés par rapport au politique, la vie dans les quartiers populaires conserve une dimension à la fois collective et politique. Cette « politicité » populaire questionne les modes d’intervention de l’Etat dans ces territoires, sur un registre ambivalent combinant défiance et attentes fortes à l’égard de l’Etat pourvoyeur de ressources.
Ahmed BOUBEKER, sociologue et professeur à l’université Jean-Monnet de Saint-Etienne, montre de manière convergente que les banlieues ne sont pas le désert politique souvent dépeint. Il s’appuie pour cela sur la « petite histoire » d’un collectif de jeunes d’origine immigrée qui s’est constitué en 1981 dans la mouvance de la gauche prolétarienne, pour montrer que le militantisme dans les banlieues ne se résume pas aux mouvements antiracistes qui se sont développés à la même époque. Il souligne cependant les effets limités de ces différentes formes de mobilisation politique, de même que l’impuissance de l’Etat pour répondre au malaise des banlieues.
Le propos de Deena WHITE, professeure au département de sociologie de l’université de Montréal, est précisément de mettre l’accent sur les conditions de pérennisation de mobilisations citoyennes à la fois porteuses d’un projet de société alternatif et reconnues par l’Etat, dans un contexte différent, celui du Québec, où l’Etat n’est pas perçu comme le seul responsable et metteur en œuvre d’un modèle de société.
Catherine NEVEU, chercheure à l’EHESS, propose dans son commentaire plusieurs fils de discussion, en insistant notamment sur la nécessité d’un « changement de lunettes » pour appréhender la dimension proprement politique des démarches collectives qui ont émergé dans les quartiers populaires. Elle invite aussi à rompre avec le discours convenu sur la fin du militantisme, qui empêche de percevoir des formes renouvelées d’engagement, qui comme le montrent les trois interventions précédentes, posent la question de la construction d’espaces de citoyenneté intermédiaires permettant l’expression de formes de protestations non violentes.
Dans la discussion animée par Didier CHABANET, chercheur à Sciences Po et à l’IFSTTAR, est cependant souligné le fait que, sous couvert de retisser d’en haut ce lien social dans les quartiers, le risque existe d’un encadrement de la parole citoyenne. De même, il conviendrait sans doute de mettre en perspective les formes de politisation et de mobilisation citoyenne dont il a été question avec le sentiment d’un certain désenchantement collectif qui caractériserait également les quartiers populaires. Pour autant, vu de l’étranger, c’est bien le sentiment de dynamiques émergentes et de formes d’expression citoyenne renouvelées qui prédomine, au point que la France serait aujourd’hui vue comme « la France du slam ».