Conférence introductive

La conférence a été introduite par Marie-Hélène Bacqué, professeure d’études urbaines à l’université Paris Ouest Nanterre (LAVUE). Reprenant le titre du colloque – Les communautés : problèmes ou solutions ? – elle s’attaque d’emblée à décrypter cette notion si complexe qui engage des débats théoriques et politiques « sensibles » autant que des peurs sociales. En effet, au travers de cette interrogation, il s’agit de questionner plusieurs types de communautés – européenne, nationale – ainsi que les groupes qui les constituent. A cela s’ajoute les questions suivantes : de quelles communautés parlons-nous ? De quoi avons-nous peur ? Qu’attendons-nous des communautés ?

 

La notion de communauté est un terme polysémique, considéré comme un phénomène archaïque dans la tradition sociologique française mais central au sein de la pensée politique et sociologique nord-américaine. C’est une notion à contours variables signifiant le sentiment d’appartenance ; le collectif et la collectivité (il n’existe pas de traduction du mot community). Ainsi, l’utilisation du terme communauté renverrait à un groupe social constitué de personnes ayant des caractéristiques communes. Se pose alors la question de savoir ce qui fait cohésion, et plus largement, ce qui construit des « nous ».

En France, l’apparition récente de la notion de communauté dans le débat public et dans les travaux de sciences sociales est corrélée à la reconnaissance des minorités, d’où l’idée que la communauté serait liée à la minorité. Pourtant, la communauté peut également être mobilisée contre les minorités (communauté nationale).

Cette notion est également associée à la notion de communautarisme, terme qui renvoie à la disqualification sociale et politique (repli, sécession, menace de la société et de l’ordre républicain par les mentalités, les pratiques et les comportements des communautaires). Les publics visés par cette catégorisation sont souvent les gays, les habitants des quartiers populaires (Musulmans notamment) ; en revanche l’entre-soi bourgeois est rarement qualifié de communautarisme, ni la famille, encore moins la nation.

En amalgamant les notions de communauté et de minorités, on repère le glissement idéologique où toute expression des minorités visibles, principalement issues de l’immigration postcoloniale, est perçue comme une menace. Dès lors, le référentiel intégration prend une toute autre dimension politique. Pourtant, s’il existe des logiques de fermeture communautaire, il faudrait les identifier pour ne pas disqualifier les communautés.

En définissant les communautés à partir d’un sentiment partagé d’appartenance subsiste le risque de naturalisation des différences (ex. de M. Valls qui, évoquant les différences entre les modes de vie des populations Roms et « les nôtres », souligne une altérité naturalisée). Or il n’y aurait pas d’identités et de cultures homogènes qui sont au contraire, mouvantes et diverses. Autre exemple avec les sentiments d’appartenance des jeunes issus des quartiers populaires : leurs identités se caractérisent davantage par une culture juvénile, l’expérience de la discrimination raciale, la précarité sociale ou encore la culture étatsunienne, c’est-à-dire un ensemble de ressources puisées dans des répertoires différents. A l’instar de Nancy Fraser, il serait alors plus judicieux d’évoquer les injustices économiques et sociales.

En effet, c’est à travers la question de la reconnaissance que se pose l’existence de communautés : la non-reconnaissance conduit inversement à l’enfermement et au sentiment d’exclusion.

Les travaux de recherche démontrent également la portée politique de structurations de communautés : cf. la mobilisation des gays sur le SIDA, les luttes contre les discriminations raciales aux Etats-Unis.

 

 

 

Pour conclure cette présentation, Marie-Hélène Bacqué souligne la nécessité de dépasser l’idée communautaire en affirmant l’existence d’une communauté. Ainsi, une communauté pourrait être un groupe qui demande sa part de richesse ou encore un sujet politique capable d’envisager largement les enjeux de la société au profit de l’ensemble de la société. En effet, la reconnaissance des communautés n’est pas incompatible avec l’idéal démocratique mais doit s’accompagner d’un travail critique permanent.

 

A la suite de cette communication, les échanges avec l’auditoire ont principalement porté sur les éléments suivants :

  • A la question de la logique de victimisation, la chercheure renvoie la nécessité d’analyser ces phénomènes sous l’angle des rapports de pouvoir et d’inégalités car la question de la domination semble guider les rapports entre groupes sociaux ;
  • la notion de commun, collectif, souvent mise de côté dans les débats est aujourd’hui perceptible à travers l’émergence des listes citoyennes (cf. les dernières élections municipales) où se sont construites des communautés de citoyens à partir de projets communs et non de logiques institutionnelles ;
  • la question de l’identité de destin : par exemple les jeunes confrontés à la discrimination ne se définissent pas par leurs origines car ce qu’ils ont en commun est cette expérience de discrimination sur le sol français. Le clivage n’est pas l’origine mais la discrimination ;
  • Enfin, une réflexion (un vœu) sur la lutte pour la reconnaissance culturelle, nouveau fondement politique universaliste.

 

 

 

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